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Pierre Dumarchey – patronyme de Pierre Mac Orlan – est né le 26 février 1882 à Péronne, en Picardie, où étaient alors domiciliés ses parents, Pierre Edouard Dumarchey, originaire de Saône-et-Loire, et Berthe Clémence Francine Artus, fille d’un employé des chemins de fer de l’Ouest, décédé avant leur mariage, en 1881. L’écrivain conservera le souvenir d’une première image de son père en uniforme de sous-lieutenant d’infanterie, en garnison au château de Péronne. En fait, Pierre Edouard Dumarchey était officier de réserve au moment de la naissance de son fils (il travaillait alors aux Chemins de fer du Nord comme inspecteur de police), et il ne sera admis dans l’active qu’en 1883. Un second fils Jean, naîtra en 1887.

 

Les deux frères vont être confiés en 1893 à leur oncle, Louis Hippolyte Ferrand, inspecteur d’académie à Orléans. Ce normalien, agrégé d’histoire, avait épousé leur tante maternelle. Il est vraisemblable qu’il fut désigné comme tuteur des deux enfants à la suite du décès prématuré de leur mère, en février 1892, encore que Mac Orlan n’ait jamais rien révélé du sort de celle-ci.

 

C’est donc à Orléans que Pierre Mac Orlan a été élevé : il fit sa scolarité au lycée Pothier. L’enfant avait des relations difficiles avec son tuteur qui était un homme sévère et exigeant (il avait de son côté un garçon et un fille). Jean, pour sa part, devait quitter le domicile de Ferrand en 1896 et la séparation des deux frères demeura une blessure, jamais véritablement cicatrisée, pour l’écrivain.

 

Si sa scolarité fut médiocre, Pierre Dumarchey a croisé au lycée le poète Gaston Couté, qu’il devait retrouver plus tard à Montmartre, et il y découvrit le rugby. Adolescent, il envoya ses premiers vers à Aristide Bruant, dont la réponse lui fit grand plaisir. Et c’est d’Orléans que lui vint, vraisemblablement, l’idée du pseudonyme qu’il adopta à partir de 1905. C’est, pense-t-on, Pierre d’Orléans (le Mac irlandais indiquant la filiation), encore que l’écrivain soit demeuré très évasif quand on l’interrogeait à ce sujet. Il est également certain que l’oncle-tuteur a stimulé la curiosité intellectuelle de son pupille, qui le reconnaîtra tardivement.

 

Soucieux de son avenir, il tenta de l’orienter vers l’enseignement et, à l’âge de seize ans, Pierre Dumarchey devint élève-maître à l’École normale d’instituteurs de Rouen. Il y vanta surtout les mérites du rugby à ses condisciples, et il quitta l’établissement à l’issue de cette année scolaire 1898-1899.

 

Après un court séjour chez son grand-père paternel, ancien commissaire de police retiré à Lille, le jeune homme gagna Montmartre en décembre 1899. Il admirait Toulouse-Lautrec et il croyait avoir trouvé sa vocation, qui serait d’être peintre. Mais Montmartre, sorte d’annexe campagnarde de la capitale, lieu d’élection des artistes où rapins et mauvais garçons se côtoyaient quotidiennement, ne tint pas ses promesses. Les années 1900-1910 furent, pour le jeune homme, des années difficiles où il connut parfois la misère.

 

Ne parvenant pas à vendre ses toiles, il subsiste, tant bien que mal, de travaux de commande ou de petits emplois. Il revient à Rouen où il découvre l’atmosphère d’une grande ville portuaire. Il voyage en Belgique et en Italie , accompagnant, en qualité de secrétaire, une femme de lettres belge (peut-être Marguerite Coppin ?) dont il gardera également la villa à Knokke. Il commence à signer ses œuvres Mac Orlan , et retourne régulièrement à Montmartre où il fréquente le cabaret du Lapin Agile. C’est là qu’il se lie avec des camarades qui feront une carrière littéraire : Apollinaire, Carco, Salmon…, qu’il rencontre des peintres, Picasso notamment. C’est surtout au Lapin Agile qu’il va connaître celle qui deviendra sa femme, Marguerite Luc, la fille de Berthe Serbource, compagne de Frédéric Gérard, le tenancier du cabaret.

 

Réformé après quelques mois de service militaire, en 1906, le jeune homme séjourne épisodiquement chez son père qui, ayant quitté l’armée, devenu comptable et remarié, réside à Paris. Il écrit, pour vivre, des ouvrages érotiques, des chansons… Il se spécialise dans le dessin humoristique et collabore à la presse spécialisée dans ce domaine, florissante à l’époque.

 

C’est à partir de 1910, à la suggestion de Gus Bofa, dessinateur notoire et directeur artistique du journal Le Rire, qu’il va développer les légendes de ses dessins et écrire des contes humoristiques.

 

L’année précédente, en 1909, Jean Dumarchey – les deux frères s’étaient côtoyés à Montmartre – s’est engagé dans la légion étrangère (impécunieux et sans occupation régulière, il avait devancé l’appel, à dix-huit ans, et il servait depuis  1905 dans un régiment d’infanterie à Arras). Ces années 1900- 1910 laisseront un goût amer, celui de la misère, d’une vie d’échecs et d’expédients, à Mac Orlan qui, plus tard, confiait volontiers ne pas aimer Montmartre. Elles n’en furent pas moins capitales pour l’élaboration de son œuvre littéraire, constamment nourrie des expériences vécues pendant cette période difficile.

 

Tout va aller beaucoup mieux à partir de 1911. Mac Orlan publie son premier livre, Les Pattes en l’air, un recueil de contes humoristiques précédemment parus dans la presse. Dans la même veine, son premier roman, La Maison du retour écœurant, sera édité l’année suivante. Désormais, le jeune écrivain habite dans le 16e arrondissement. Il épouse Marguerite en 1913. Un an plus tard, la guerre surprend le couple en vacances en Bretagne. Mobilisé, Mac Orlan quitte, le 1er août, le village de Moëlan où il séjournait et il rejoint son corps à Dangermain. Caporal, et agent de liaison, il sera blessé le 14 septembre 1916 devant Péronne, sa ville natale (ce qui est un des signes du destin auquel il croyait volontiers).

 

Hospitalisé d’abord à Ouistreham, puis réformé en 1917, Mac Orlan reprend, avec la vie civile, son activité littéraire. Le Chant de l’équipage, qui paraît en 1918, est un titre important, contribuant à marquer le renouveau du roman d’aventures que connaît alors la littérature, avec Pierre Benoït notamment.

 

Ayant signé des livres témoignant du conflit auquel il vient de participer (Les Poissons morts en 1917), Mac Orlan est correspondant de guerre en Alsace et en Allemagne pour L’Intransigeant de novembre 1918 à avril 1919. Il va ensuite multiplier les activités : éditeur (à L’Édition française illustrée, à La Banderole), chroniqueur littéraire (à La Petite Gironde), grand reporter en Angleterre, en Italie, en Afrique du Nord (pour L’Intransigeant, pour Le Petit Journal, pour Paris-Midi, etc.). Il publie des romans importants : La Cavalière Elsa en 1921, La Vénus internationale en 1923, Le Quai des brumes en 1927, La Bandera en 1931. C’est en 1927 que les Mac Orlan s’installent à Saint-Cyr-sur-Morin, en Seine-et-Marne, où la mère de Marguerite avait acheté une maison en viager, que, au décès de sa propriétaire, ils vont aménager à leur goût. Mais l’écrivain continuera à se rendre régulièrement à Paris, et il ne se coupera jamais du milieu littéraire de la capitale.

 

En 1929, Jean Dumarchey, le jeune frère qui n’a jamais su trouver sa voie, décède à 42 ans d’une hémorragie cérébrale. Les fratries de La Maison du retour écœurant ou de La Vénus internationale sont assurément un écho littéraire de la situation des frères Dumarchey, tôt séparés par l’adversité et jamais durablement réunis.

 

Dans les années trente, Mac Orlan connaît une grande notoriété avec l’adaptation au cinéma de La Bandera (en 1935) puis du Quai des brumes (en 1938). Il collabore depuis longtemps avec des peintres (Daragnès, Dignimont, Chas Laborde, Pascin) pour des éditions de luxe. Il est, surtout, un des chantres de la modernité : le cinéma, mais aussi la radio, le disque, le sport, le music-hall, les grands magasins… Il s’efforce de saisir, dans ses essais, les éléments du fantastique de son époque, et il élabore le concept de fantastique social qui en est, à son sens, l’expression. Il a touché à la poésie, au roman maritime, à l’anticipation, au fantastique… Il publie des romans militaires, exotiques. Mais la pleine mesure de son talent, il l’a toujours donnée dans des textes courts : Sous la lumière froide en 1927, ou Quartier réservé en 1932. Et le meilleur de son œuvre est imprégné des expériences de sa jeunesse miséreuse, et leur doit son authenticité.

 

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, et tourne mal, Mac Orlan va s’efforcer de survivre dans son village, sans compromissions ni trop de dommages. Il publiera en 1941 un grand roman d’aventures maritimes, L’Ancre de Miséricorde, et il fera le gros dos jusqu’à la Libération.

 

Après celle-ci, il produit avec Nino Frank plusieurs émissions pour la radio, de 1948 à 1959. Il écrit également des pièces radiophoniques. Il est élu à l’Académie Goncourt le 30 janvier 1950. De 1952 à 1956, il collabore au Mercure de France et ses chroniques, recueillies en volumes, vont constituer des Mémoires fragmentaires savoureux : Le Mémorial du petit jour (1955) et La Petite cloche de Sorbonne (1959). De façon plus originale, il donnera à ses souvenirs la forme de chansons restituant l’atmosphère des villes connues dans sa jeunesse. Elles ont été interprétées surtout par Germaine Montero, par Juliette Gréco et par Monique Morelli. Leurs textes se trouvent réunis dans deux volumes : Chansons pour accordéon (1953) et Mémoires en chansons (1965).

 

Une tentative de réinstallation à Montmartre en 1957 (l’écrivain a vendu son portrait peint par Pascin en 1924 pour acheter un appartement rue Constance) se traduit par une désillusion et les Mac Orlan regagnent définitivement Saint-Cyr-sur-Morin en juin 1961. L’année suivante, pour les quatre-vingts ans de l’écrivain, ses amis lui offrent le perroquet Catulle, dit Dagobert, qui, juché sur son épaule, contribuera à compléter l’image de vieux bourlingueur qu’il se plaît à cultiver.

 

La disparition de Marguerite, le 10 novembre 1963, porte un coup très dur à son mari. Il lui survivra sept ans. Il va encore publier, en 1966, le texte définitif de Mademoiselle Bambù, composition romanesque ambitieuse dont la première version remonte à 1932. Un numéro spécial des Lettres françaises lui sera consacré en 1965. Et il verra, en 1969, le début de la publication (qui s’achèvera en 1971) de ses Œuvres complètes sous la direction de Gilbert Sigaux.

 

Après une première alerte cardiaque en 1969, Pierre Mac Orlan décède le 27 juin 1970, dans sa quatre-vingt-neuvième année, et il est inhumé à Saint-Cyr-sur-Morin. Par testament, rédigé peu avant, le 10 mai, il léguait ses biens à la commune, donnant mission à un groupe de douze personnes, présidé par le maire, son exécuteur testamentaire, de veiller à la réédition de ses œuvres et d’attribuer un prix littéraire annuel portant son nom à un écrivain ou à un artiste, de préférence âgé, dans une situation difficile.

 

Depuis le décès de l’écrivain, ses livres n’ont cessé d’être réédités, plusieurs thèses ont été soutenues sur son œuvre et trois colloques universitaires lui ont été consacrés.

 

Bernard Baritaud