Sous-titré "un civil chez les joyeux", ce livre reprend les articles publiés l'année précédente dans Détective. Après plusieurs chapitres, presque touristiques, consacrés à Tunis, l'essentiel du reportage porte sur les légionnaires du Camp Dutertre de Tataouine, autrement dits les "joyeux", que l'auteur a pu observer et fréquenter au cours de ce voyage et pour lesquels il éprouve une sympathie évidente. Au-delà du pittoresque qui se dégage de ces pages, c'est surtout la psychologie particulière de ces hommes que Mac Orlan s’efforce de saisir, et qui nous rappelle plus d'un de ses personnages romanesques, depuis le soldat de la coloniale dans Le Quai des Brumes jusqu'à  Pierre Gilieth dans La Bandera, en passant par le héros de La Tradition de minuit.

La publication de Sous la Lumière froide fut l'occasion pour Mac Orlan de réunir des textes écrits à des époques bien différentes. La Pension Mary Stuart et Docks étaient encore récents (1958), tandis que  Port d'Eaux Mortes et Les feux du Batavia dataient de 1926.

La Pension Mary Stuart

Un fait divers sanglant dans un petit hôtel du port de Rouen est prétexte à une évocation de la ville que Mac Orlan a toujours considérée comme "le" lieu de son éducation sentimentale. 

Port d'eaux mortes

Nous connaissons déjà le narrateur de Port d'eaux mortes  puisque nous avons croisé un Nicolas Béhen dans La Pension Mary Stuart et dans Filles d'Amour et Ports d'Europe. Ainsi que l'auteur l'a précisé à plusieurs reprises, Nicolas Béhen n'est autre que Pierre Mac Orlan. Ce dernier connut d'ailleurs - pour de vrai - la mésaventure évoquée dans Port d'eaux mortes. Mais c'était à Montmartre. 

Docks

Ces docks sont ceux de Londres, quelque part entre Poplar et Barking ainsi que le précise Mac Orlan. Et l'histoire est celle de Tess, une fillette aveugle vivant de prostitution et qui connaîtra un destin… lumineux. 

Les feux du Batavia

Un accordéoniste qui descend à Marseille ; un hôtel sur le Vieux-Port ; une "maison" dans le quartier du Panier où il trouve un emploi ; l'annonce de l'arrivée prochaine du paquebot Batavia transportant des passagers riches et particulièrement noceurs. Voici réunis les ingrédients pour une formidable galéjade marseillaise.

Dominique Le Brun  (In: Mac Orlan, Romans maritimes, Ed. Omnibus)

Dans l'Europe au tournant des années vingt à trente, sur les traces d'agents secrets plus ou moins conscients de la gravité de leur situation, nous faisons le grand tour des ports auxquels romanciers de l'aventure et écrivains du voyage ont attribué un caractère mythique. Devenu en 1946 Mademoiselle Bambù, Filles d'Amour et Ports d'Europe s'est du coup trouvé amputé d'une grandiose introduction consacrée à Hambourg (on y apprend que dans les boutiques du port, on trouve des costumes de scaphandriers coupés à la dernière mode ! ). 

Sans doute, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, le souvenir de Hambourg rasée sous les bombes incendiaires (40 000 morts), a-t-il encouragé à oublier ce texte ? On peut aussi s'interroger sur le changement de titre. Le nouveau ne paraît-il pas beaucoup moins susceptible d'éveiller l'intérêt de l'aventurier passif, grand lecteur de Mac Orlan ? Mais ainsi qu'il l'explique dans la préface de la nouvelle édition, l'auteur avait un compte à régler avec ses personnages. Et qu'importe  dans le fond ?  Entre Hambourg, Naples, Palerme, Marseille, Brest, Londres, Barcelone, Rouen… quel fabuleux cabotage !   

Dominique Le Brun  (In: Mac Orlan, Romans maritimes, Ed. Omnibus)

L'édition originale de ce texte remonte à 1934, quand il fut publié sous le titre La Nuit de Zeebrugge. Cette nuit fut celle du 22 avril 1918, célèbre dans les annales de la marine anglaise pour le raid sanglant qu'elle lança contre les ports d'Ostende et de Zeebrugge. En effet, ces deux ports étaient les débouchés maritimes de canaux conduisant à Bruges, ce port intérieur constituant la principale base des sous-marins et des torpilleurs allemands qui attaquaient les convois alliés. La Royal Navy décida donc de faire entrer des navires piégés dans ces canaux afin de rendre la base de Bruges inutilisable. L'opération, extrêmement délicate, exigea une longue préparation basée sur les informations transmises par des agents secrets. Le raid lui-même fut très sanglant car une force de débarquement devait prendre d'assaut la grande jetée de Zeebrugge, afin de faire diversion pendant qu'un sous-marin et cinq croiseurs légers se glisseraient dans le canal où ils seraient coulés. 

Ces précisions militaires sont indispensables pour bien cerner le propos de Mac Orlan. Quelques années après la guerre, un homme revient sur les lieux de la bataille, en quête de réponse à une interrogation : y aurait-il eu trahison ? La réponse se trouve quelque part dans les rues calmes ou sur les quais de Bruges au pied du beffroi ; ou encore sur les immensités de dunes qui courent entre Ostende et Zeebrugge.

Dominique Le Brun  (In: Mac Orlan, Romans maritimes, Ed. Omnibus)

Ont-ils bien raison, les bibliothécaires qui classent volontiers ce titre dans le rayon "littérature enfantine" ? Certes le héros de ce roman d'aventure est un adolescent. Mais au delà d'un récit initiatique certes profitable à un enfant, l'histoire du forban repenti qui n'arrive pas à échapper au démon de l'aventure s'avère aussi riche de leçons pour un adulte. D'ailleurs, pour le familier des choses de la mer, le titre de ce roman a une signification dramatique tout à fait particulière. Sur les navires à voile pour qui la tenue d'un mouillage pouvait être question de vie ou de mort, l'ancre de miséricorde était la plus grosse du bord, celle qu'on ne jetait jamais qu'en toute dernière extrémité, afin d'éviter, s'il était encore temps, que le bateau soit jeté à la côte. Et voici qui éclaire cette histoire d'un jour nouveau…  

Quoiqu'il en soit, avec L'Ancre de miséricorde, nous revenons à Brest. En 1777 ainsi que le précise le narrateur dès les premières lignes de son récit, à une époque où l'éventualité d'une guerre contre l'Angleterre se faisait chaque jour plus vraisemblable. L'époque importe car la géographie de Brest a bien changé. Jusque vers la fin du XIXe siècle en effet, une bonne partie de l'estuaire de la Penfeld, au pied du château, sous le Pont levant et au-delà, n'étaient pas port de guerre mais de commerce. La ville s'y étendait avec ce quartier mal famé de Keravel que Mac Orlan décrit aussi précisément que s'il y avait vécu.     

À l'époque, il y avait aussi le bagne et ses détenus dont certains présentaient des personnalités frappantes et bénéficiaient parfois d'un statut relativement libéral. C'est le cas de Jean de la Sorgue… Créé en 1750 pour accueillir les condamnés qui, précédemment, accomplissaient leur peine à bord des galères royale, le bagne fournissait de la main d'œuvre aux arsenaux de Toulon et de Brest. Ainsi, au moment de lancer un navire, c'est à un bagnard condamné à mort que revenait la charge de faire sauter la dernière cale retenant la coque sur sa cale. Si l'homme en réchappait, il était gracié ! Quant à la fameuse expression "Tonnerre de Brest", elle désigne le canon d'alarme que l'on tirait pour signaler une évasion. Alors nombre de Brestois se mettaient en campagne dans l'espoir de toucher la prime promise à celui qui permettrait de retrouver l'évadé. Des bohémiens s'étaient d'ailleurs fait une spécialité de cette chasse à l'homme. 

Afin de parfaitement inscrire son histoire dans un contexte historique, Mac Orlan multiplie les détails. Comme dans À bord de l’Étoile Matutine , on retrouve le Brûlot Fournier qui d'auberge, est devenu le café des notables brestois (même si les serveuses y sont toujours aussi délurées). On y entend à nouveau parler du régiment de Karrer, formé en 1720 ainsi que le précise l'auteur dans une note, et tout juste dissous à l'époque où se passe L'Ancre de miséricorde. Quant à Nicolas de Bricheny, l'ami artiste du jeune narrateur, il est bien entendu Nicolas Ozanne, ingénieur et peintre à qui on doit des représentations du port de Brest célèbres pour leur extraordinaire finesse.  

Dominique Le Brun  (In: Mac Orlan, Romans maritimes, Ed. Omnibus)