Le thème est celui, bien connu, de l'île au trésor. Mais la fortune ne se trouve pas là où on l'attendait tandis que le fantastique s'invite au rendez-vous. En fait, avec Le Chant de l'équipage, Mac Orlan montre quels dangers guettent l’aventurier passif qui quitte son cabinet de lecture pour franchir le pas de l'aventure active.

Le début de ce roman, plutôt documentaire, prend une certaine originalité en s'installant dans une ambiance très particulière : la vie quotidienne sur la côte des rias cornouaillaise pendant la Première guerre mondiale. Le souvenir des peintres de l'École de Pont-Aven demeure vivace ; on perçoit l'atmosphère lourde du pays privé d'hommes jeunes et la jalousie suscitée par ceux qui ne sont pas au front ; on fantasme sur les sous-marins allemands dont les officiers, paraît-il, descendent parfois boire un verre dans les auberges de la côte en se faisant passer pour britanniques ; on imagine le petit monde des combines et des trafics rendus possibles par l'état de guerre. Et puis tout s'emballe…  

Dans l'hôtel Ploedac où vivent nos héros, on serait tenté de voir la fameuse pension Gloanec de Pont-Aven, dont l'hôte le plus célèbre fut Gauguin. Mais dans Le Mémorial du petit jour, Mac Orlan se souvient des séjours que lui-même fit en ces lieux entre 1910 et 1914 : "À Brigneau-en-Moëlan… il existait, à l'entrée de la cale qu'elle dominait, une petite auberge de pêcheurs. Elle était posée sur le roc comme une carcasse de tourteau, entre les tonneaux de boëtte et les détritus de crustacés… dans cette auberge vivaient les peintres Maurice Asselin et Jacques Vaillant, Ricardo Florès et Jourdan …" On les retrouve encore dans Les Poissons, où il évoque les circonstances dans lesquelles la mobilisation d'Août 1914 le surprit ici, en pleines vacances. En venant aujourd'hui à Brigneau, on n'aura aucun mal à retrouver l'esprit du Chant de l'équipage, surtout si on arrive à pied par le chemin des douaniers.

Dominique Le Brun  (In: Mac Orlan, Romans maritimes, Ed. Omnibus)